Avant de répondre à cette question il nous est apparu utile de préciser deux éléments. Le premier concerne la définition même des termes « formatrice/formateur d’adultes ». Nous nous sommes mis d’accord pour considérer ici une large palette d’activités pouvant entrer dans le champ d’action de ces personnes, allant du conseil à l’évaluation en passant par l’ingénierie et l’animation pédagogique.

Le deuxième se réfère plutôt à une réflexion sur l’utilité même de cette activité, ce métier ou cette profession, selon l’acception que l’on veut bien donner. En effet, comment définir les compétences nécessaires que doit avoir une personne, si on ne sait ni pour qui et ni pour quoi elle va devoir agir... Sans prétendre être exhaustif, on peut dire que les principaux bénéficiaires de formatrices et formateurs performants sont les entreprises, organisations, associations, ainsi que les personnes qui suivent une formation, et à travers elles la société dans son ensemble. Cela implique de prendre en compte des besoins collectifs et individuels, dans un environnement qui se digitalise de plus en plus et dans lequel la rapidité de circulation de l’information peut donner le tournis. A l’heure de l’infobésité et d’un savoir de plus en plus rapidement obsolète, le « contenu » ne peut plus être seul au cœur de l’activité, l'humain doit en (re)devenir le centre.

Tout comme ce fut le cas dans l’évolution de la posture sociale du maitre et de la maitresse d’école qui jadis était le tenant du savoir et qui aujourd’hui ne fait plus autorité en la matière et de ce fait est fréquemment remis en question par les élèves eux-mêmes et par ses parents, le formateur d’adultes est et sera confronté aux mêmes paradigmes.

Dès lors, il lui incombe d’acquérir des compétences qui lui permettent de rester compétitif et crédible face à son auditoire et aux personnes qui lui donnent mandat d’accompagner et de promouvoir le changement auprès de l’individu, de l’équipe et de l’entreprise.

Si l’élément déclencheur qui incite la personne à accéder au statut de formateur est le savoir dans un domaine particulier et une personnalité propre à faire passer un message, il lui faut beaucoup d’autres compétences pour durer dans cette activité extrêmement exigeante et ceci qu’il soit employé comme formateur par son employeur ou qu’il décide de pratiquer cette activité comme indépendant.

Nous avons tenté ici de catégoriser ces compétences. Il ne s’agit en aucun cas de « vérités académiques », mais de réflexions issues de nos expériences pratiques respectives. Comme dans le conte philosophique des aveugles et de l’éléphant, où chaque personne prend la partie qu’il a touché et qu’il connaît pour « le tout », nous avons confronté nos points de vue dans le but d’élargir notre compréhension du sujet. Ces pistes de réflexion peuvent et doivent donc être complétées ou validées, l’important étant que vous trouviez celles qui feront votre succès...

Au niveau des compétences transversales, utiles dans toutes les activités de formation, nous pensons que la personne doit pouvoir...

  • Passer d’une posture « de personne détenant le savoir » à celle « d’accompagnatrice » et de « spécialiste » du processus d’apprentissage et d’intégration. Il ne s’agit plus forcément de former à l’instant T, mais d’accompagner le processus d'apprentissage en continu dans le but de permettre à l’apprenant de développer son sens critique, d’apprendre à utiliser et analyser les différentes sources d’information.
  • Potentialiser le savoir des participants et de mobiliser leurs ressources pour qu’ils soient eux-mêmes les acteurs de leur apprentissage.
  • Être pluridisciplinaire et curieuse, aimer sortir de sa zone de confort, innover et comprendre le pourquoi et le comment des choses.
  • Être conscient des effets systémiques des situations.
  • Pour cela, il doit avoir une grande connaissance de lui-même et par conséquent se former, se faire coacher et se superviser régulièrement afin d’éviter les pièges du transfert et de l’enfermement.

Au niveau des compétences liées à l’ingénierie pédagogique, la personne doit pouvoir...

  • Etre une force de propositions et orienté solutions car en contact direct avec les problématiques à résoudre.
  • Assumer un rôle de consultant, interne ou externe avec la capacité de prendre du recul et de conseiller sa hiérarchie, les ressources humaines et les autres acteurs sur les mesures à mettre en place activement pour que la formation soit un succès.
  • En tant que responsable de formation, organiser, coordonner et piloter des personnes, des projets et des dispositifs pédagogiques.
  • Évoluer vers une scénarisation techno­pédagogique. Cette dernière va devenir de plus en plus effective durant ces prochaines années.

En effet, l’intérêt des entreprises pour la formation en ligne, devient courant. Demander à une formatrice ou un formateur s’il propose une alternative « blended » à sa formation présentielle n’est plus inimaginable, que ce soit en exploitant des contenus en ligne ou en accompagnant son intervention présentielle d’un suivi via un forum, un espace collaboratif ou d’autres outils de tutorat à distance. La formatrice et le formateur de demain ne peuvent pas (et ne doivent pas) laisser cet aspect de la formation à d’autres domaines de compétences, par exemple l’informatique ou le marketing, en y voyant avant tout des projets technologiques. Au contraire, la formation en ligne ne peut se développer qu’avec une prise en main de celle-ci par des pédagogues et des experts du développement de compétence, afin que ces projets puissent se réaliser avec le souci de l’apprentissage au cœur du dispositif.

Pour eux, cela signifie le développement de connaissances et de compétences spécifiques. La scénarisation d’une formation réalisée partiellement en ligne implique une prise en compte du déroulement dans le temps de l’acte d’apprentissage, et du risque de perturbations qui en découle. Comment gérer la motivation des participants dans le temps ? Une bonne compréhension des mécanismes d’engagement, issus de la psychologie, et de la communication motivationnelle, du marketing, permettent de mettre en place un vrai plan de communication pour anticiper puis accompagner la formation. En plus de la transmission de la connaissance, ils développent également des compétences de tutorat, et réalisent l’accompagnement du groupe sur une longue période.

A côté de la communication, la formation digitale revête inévitablement un aspect technologique : une sensibilité technologiques (ou au moins l’absence de techno­phobie) est indispensable. Elle permet de comprendre les différents outils intervenants dans la création de contenus de formation en ligne : plate­forme de gestion de contenu, outil de web­conférence, logiciels de création de contenu, etc. La formatrice et le formateur ne peuvent cependant pas devenir développeur, graphiste, webmaster, monteur vidéo, etc. Ce serait bien trop demander d’une seule personne, et les préoccupations pédagogiques risqueraient de se noyer dans toutes les considérations techniques ! Ces compétences sont cependant nécessaires au développement de formations digitales. En tant que garant de la pertinence pédagogique de la formation, ils doivent savoir s’appuyer sur des intervenants aux compétences variées. Ils passent ainsi du statut de « femmes ou hommes-orchestres » à celui de « chef d’orchestre ».

Ces compétences devraient servir, en premier lieu, la qualité de la formation.

La situation économique actuelle a plus que jamais renforcé la nécessité de lier tout investissement à des résultats perceptibles et économiquement concrets. De plus, l’avènement du big data, la tendance au « tout mesurable », permet une évaluation plus directe des effets des investissements. Dans ce contexte, les attentes sur la capacité de la formatrice et du formateur à s’engager sur des effets vont croître. Pour eux cela nécessite une prise en compte du contexte dans lequel ils interviennent, afin de s’assurer que les besoins ont été correctement cernés et que la formation pourra réellement avoir un effet bénéfique. Ainsi, ils doivent s’assurer d’adapter leur formation à chaque situation et réaliser une démarche continue d’évaluation des effets de leurs interventions afin d’en garantir la qualité et l’efficacité.

Par ailleurs, cette garantie de qualité devient essentielle face à la concurrence indirecte des multiples sources d’informations et même de formation (développement des modules de formation en ligne « sur étagère », puis des moocs). Leur travail sera de plus en plus comparé à d’autres moyens de former. A chacun d’intégrer de nouveaux supports dans sa pratique, de s’en enrichir, et surtout de rester informé et à jour. Il sera en effet essentiel de ne pas se laisser dépasser par un contenu et/ou un contexte qui évolue rapidement. Ainsi, la formatrice et le formateur de demain devront dégager le temps nécessaire pour rester à jour et développer une expertise en termes de formation et d’apprentissage, au-delà de l’expertise matière. La formation est plus que jamais un métier en constant changement, et, pour rester crédible il faudra s’assurer d’avoir « une longueur d’avance », de connaître les tendances actuelles et à venir en matière de méthodes, de technologies, de modes de formation.

Si Freud dans sa préface à « Jeunesse à l’abandon » d’Aichhorn (1925) et Analyse terminée et analyse interminable (1937) parlait de trois « métiers impossibles », qui sont : éduquer, guérir et gouverner » (source : Mireille Cifali, https://leportique.revues.org/271 /30.01.2016), on peut néanmoins affirmer que c’est peut-être pour cela que cette « profession » est si passionnante. L’humain est au centre et chaque jour est différent... Il restera donc toujours de la place pour les aventuriers bien formés et équipés...

Notre métier est amené à des changements d’envergure dont nous pouvons être, soit les acteurs, soit les spectateurs, ou les deux. Si vous avez des idées, ou mieux encore si vous désirez concrètement apporter votre contribution à l’ARFOR dans la recherche de solutions efficaces et pragmatiques pour aider les formatrices et formateurs de demain à relever les défis qui s’offrent à eux, n’hésitez pas à en parler au groupe de veille, ou à le rejoindre.

Références

  • Cet article a été rédigé dans le cadre de la réflexion du groupe de veille de l'ARFOR par
    Alain Binggeli, Julien Theler et Daniel Carron, pour le journal AGORA de juillet 2016. 

Pages en lien