Même si l’on a hérité d’un faible niveau d’aptitude au bonheur, les expériences montrent que l’on peut agir sur ce curseur. Être heureux et le rester demande notamment de faire un effort pour apprécier ce que l’on a.

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Il n’est pas nécessaire d’être un observateur très perspicace de la nature humaine pour se rendre compte que certaines personnes sont plus heureuses que d’autres. Nous connaissons tous des individus qui semblent malheureux, souvent moroses, irritables et parfois désespérés. Inversement, nous connaissons aussi des personnes qui ont toujours l’air de bonne humeur. Comme tout le monde, elles traversent des périodes difficiles, mais, malgré cela, elles parviennent à trouver de la joie dans leur quotidien et restent satisfaites de leur sort. Qu’est-ce qui différencie ces deux types de personnes ? Les gens heureux ont-ils simplement la chance d’être nés avec de meilleures dispositions ? Pourquoi la vie semble-t-elle leur sourire davantage ? Les recherches en psychologie ont montré que la prospérité, la santé et la beauté influent peu sur le bien-être. Ainsi, dans la mesure où les besoins fondamentaux sont satisfaits (manger, avoir un toit et vivre en sécurité), il ne semble pas exister d’auspices plus ou moins favorables à la naissance qui expliqueraient que l’on soit heureux ou malheureux. Est-ce une affaire de génétique ?

Le bonheur dans les gènes

Plusieurs recherches effectuées avec de vrais jumeaux, ayant le même patrimoine génétique, et de faux jumeaux suggèrent que chacun naît avec un « niveau de base du bonheur », vers lequel il revient toujours, après un échec comme après un succès. Ce niveau de base du bonheur est comparable au niveau de base du poids corporel. Certaines personnes sont prédisposées à être minces, c’est-à-dire que leur poids est stable, même si elles ne font aucun effort particulier. Au contraire, d’autres doivent faire des efforts permanents pour ne pas grossir.

Certaines personnes auraient-elles un niveau de base du bonheur supérieur ? Elles n’auraient pas d’efforts à faire : elles seraient naturellement heureuses.

Si c’est le cas, ce serait décourageant. Sommes-nous donc irrémédiablement soumis à nos gènes ? Non. Nous allons résumer l’expérience que nous avons réalisée et qui a montré, pour la première fois, de façon contrôlée, comment nous pouvons augmenter le niveau de bonheur d’une personne et le maintenir au-dessus de son niveau de base. Nos résultats suggèrent que chacun peut être heureux – et le rester – à condition d’être prêt à consentir les efforts nécessaires. Avant d’examiner comment, définissons d’abord ce qui détermine le bonheur.

Gènes, environnement et stratégies personnelles

Avec nos collègues Ken Sheldon et David Schkade, nous avons proposé une théorie qui décrit les principaux déterminants du bonheur. Les déterminants génétiques – imposant un niveau de base élevé, faible ou moyen – sont responsables de la moitié environ des différences de niveau de bonheur interindividuelles. Le bonheur dépend beaucoup du niveau de base dont on hérite.

cp hs14 constr bonheur02À côté de ce déterminant prépondérant, un autre, moins important (dix pour cent environ des variations interindividuelles), tiendrait aux conditions de vie, c’est-à-dire au fait que l’on est riche ou pauvre, bien portant ou chétif, marié ou divorcé, etc. Cette découverte est surprenante, dans la mesure où elle contredit la croyance très répandue selon laquelle les conditions de vie ont une influence notable sur le bonheur.

Si 50 pour cent représentent les prédispositions génétiques et 10 pour cent les conditions de vie, il reste 40 pour cent. À quoi correspond cette marge de manoeuvre ? À la possibilité que nous avons d’agir sur notre niveau de bonheur. Cela signifie qu’une personne malheureuse a d’importantes ressources psychologiques pour être plus heureuse, sous réserve d’analyser les comportements et les activités des individus heureux, leur façon de vivre et de penser. En effet, examiner les activités et les comportements d’une personne heureuse l’aidera à adopter des stratégies qui stimulent et maintiennent le bonheur. C’est précisément ce à quoi nous avons consacré l’essentiel de nos recherches depuis une vingtaine d’années.

Nous avons ainsi établi le mode de pensée et les comportements des personnes les plus heureuses qui ont participé à nos études. Elles consacrent beaucoup de temps à leur famille et à leurs amis, et entretiennent ces relations régulièrement. Elles expriment souvent leur gratitude pour ce qu’elles ont, sont les premières à offrir leur aide à leurs collègues ou à des passants. Elles imaginent leur avenir avec optimisme, savourent les plaisirs de la vie et vivent intensément le moment présent. Elles pratiquent un sport régulièrement et ont des objectifs et des ambitions.

Les nombreux résultats obtenus en psychologie positive répertorient les types de circonstances, de pensées et de comportements associés au bien-être psychologique. Par exemple, dans l’une de nos études qui a duré deux à trois mois, nous avons encouragé les participants à consigner par écrit leurs privilèges, c’est-à-dire tout événement ou expérience personnelle dont ils pouvaient se réjouir ; à se comporter de façon serviable pour autrui, qu’il s’agisse d’amis ou d’étrangers, personnellement ou de façon anonyme, spontanément ou en planifiant leur action ; à cultiver leur optimisme en tenant un journal hebdomadaire où ils devaient imaginer leur avenir sous un jour faste.

Dans toutes ces études, ceux qui ont joué le jeu, qui se sont réellement engagés dans la pratique d’activités stimulant le bonheur, rapportent qu’après l’expérience, ils se sentent plus heureux : leur bonheur est réel et durable. Pourtant, la partie n’est pas gagnée, même quand le niveau de bonheur a augmenté, car le plaisir d’une victoire sur soi-même autant que la douleur d’une défaite s’estompent avec le temps.

Cela est vrai, qu’il s’agisse du plaisir que l’on éprouve parce qu’on vient de décrocher un travail intéressant, de l’accablement provoqué par une rupture amoureuse, du plaisir d’avoir acheté un appartement ou de la détresse éprouvée à l’annonce d’une maladie grave. Ce phénomène – l’adaptation hédonique – indique que l’on s’habitue vite aux changements, si bien que le bonheur tend à revenir rapidement à son niveau initial.

Nous avons commencé à explorer ce mécanisme important parce que nous pensons que l’adaptation hédonique à l’expérience positive – on s’habitue à être heureux – est l’un des obstacles majeurs à un bonheur durable.

Plusieurs équipes ont montré qu’il est important de s’adapter aux événements négatifs, c’est-à-dire de récupérer aussi vite que possible après un événement grave. Mais cette faculté de récupération a un coût : l’adaptation hédonique aux événements positifs. Des psychologues américains ont suivi durant 18 mois l’évolution de l’impression de bonheur de personnes ayant gagné plus d’un million d’euros au Loto. L’étude a montré que ces personnes ne se sentaient pas plus heureuses que celles qui n’avaient pas eu cette chance. Par ailleurs, diverses enquêtes ont encore révélé qu’aux États- Unis, le bonheur des citoyens n’avait guère évolué entre 1940 (7,5 sur 10) et 1990 (7,2), alors que sur cette période les revenus avaient triplé. Ces deux exemples illustrent le phénomène d’adaptation hédonique.

Le bonheur s’émousse

Des résultats encore plus convaincants sont issus de travaux où les sujets ont été suivis durant de longues périodes. Dans une étude ayant duré 15 ans, des Allemands qui s’étaient mariés pendant l’étude ont rapporté que leur niveau de bonheur avait notablement augmenté au moment de leur mariage, mais qu’il était revenu à son niveau antérieur environ deux ans après leur mariage. Dans une autre étude, les chercheurs ont suivi des managers de haut niveau pendant cinq ans pour évaluer leur satisfaction vis-à-vis de leur emploi avant et après une promotion, par exemple. Tout comme dans le cas du mariage, les managers faisaient d’abord l’expérience d’une bouffée de satisfaction juste après le changement (l’effet « lune de miel »), mais leur satisfaction s’effondrait en moins d’un an (l’effet « gueule de bois »), résultat de l’adaptation hédonique (voir la figure 2). Au contraire, chez les managers qui n’avaient pas changé d’emploi pendant la même période, le niveau de satisfaction vis-à-vis de leur emploi n’avait pas varié. Ainsi, l’adaptation hédonique aux événements positifs serait rapide et totale.

Contrecarrer l’adaptation hédonique

Comme nous nous habituons vite aux événements positifs, devons-nous abandonner l’idée d’un bonheur augmenté durablement ? Nous ne le pensons pas. Mais pour rester plus heureux, nous devons contrecarrer cette adaptation, ce retour vers le niveau « normal ». Existe-t-il des stratégies spécifiques pour éviter, ralentir ou stopper l’adaptation hédonique ? Avec notre collègue K. Sheldon, nous avons développé de telles stratégies, par exemple lutter contre la routine et apprécier les événements positifs.

Nous nous adaptons plus lentement lorsqu’un événement positif – un nouvel emploi ou une nouvelle relation – est riche en surprises, et si nous exprimons combien nous l’apprécions. Par exemple, si une femme et son mari ont des activités différentes et intéressantes, l’adaptation hédonique sera moindre que dans un couple gagné par la routine. Ceux qui font l’effort d’apprécier le fait qu’ils n’ont pas toujours eu un emploi intéressant, un logement agréable ou des relations si satisfaisantes – et qui ne prennent pas conscience qu’ils pourraient tout perdre – maintiendront mieux leurs émotions positives et la satisfaction qu’ils en tirent. Dans notre laboratoire, nous encourageons les sujets qui participent à nos expériences à diversifier leurs expériences positives, à rester ouverts aux surprises et aux occasions nouvelles, et à apprécier ce qu’ils ont.

Ainsi, il faut du temps et de l’énergie pour mettre en œuvre des stratégies qui augmentent le bonheur, pour contrer l’adaptation hédonique aux événements agréables et transformer ces stratégies en habitudes. Mais le jeu en vaut bien la chandelle !

Bibliographie

  • A. Parks et al., Pursuing happiness in everyday life : the characteristics and behaviors of online happiness seekers, in Emotion, vol. 12, pp. 1222- 1234, 2012.
  • S. Lyubomirsky, Comment être heureux et le rester, Marabout, 2011.
  • N. Sin et S. Lyubomirsky, Enhancing well-being and alleviating depressive symptoms with positive psychology interventions : a practicefriendly meta-analysis, in Journal of Clinical Psychology, vol. 65, pp. 467-487, 2009.

Références

  • Article paru dans la revue Cerveau & Psycho, L’essentiel N°14 mai-juillet 2013. www.cerveauetpsycho.fr
  • Auteur de l’article : Sonja Lyubomirsky, professeur de psychologie, dirige le Département de psychologie de l’Université de Californie à Riverside. Katherine Jacobs mène ses recherches dans ce département.

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