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cp hs14 bonheur eco01Selon les études sociologiques, la croissance n’implique pas le bien-être des citoyens. La justice, l’égalité et le sentiment de liberté sont plus importants.

L’argent ne fait pas le bonheur ; c’est même à se demander pourquoi les riches y tiennent tant », écrivait Feydeau. L’économie peut-elle répondre à cette énigme ? Longtemps, la « science sinistre », comme l’appellent souvent ses détracteurs, s’est désintéressée du bonheur, se centrant plutôt sur la quantité, la désirabilité ou l’utilité des biens produits par la société. Le bien-être des citoyens était une variable secondaire sans intérêt, ou presque, et on partait du principe sous-entendu que plus de richesses aboutissait forcément à plus de bonheur…

Or en 1974, l’économiste américain Richard Easterlin démontrait un phénomène dérangeant : la croissance économique, notamment durant les années 1950 et 1960, n’avait pas rendu ses compatriotes plus heureux. Fâcheux, quand on sait que les politiciens s’en remettent volontiers à la croissance pour justifier du succès de leur gouvernance ! L’article d’Easterlin fit peu de bruit à sa parution, mais à mesure que de nouvelles études confirmaient ses conclusions, il devint peu à peu évident que l’augmentation des richesses d’un pays ne se traduit pas mécaniquement par une amélioration du bienêtre subjectif (autre nom, plus prudent, du bonheur) de ses habitants. D’où le grand mouvement de remise en question de l’utilisation du PIB (produit intérieur brut) comme indice de progrès social : ne faut-il pas désormais utiliser aussi d’autres outils d’évaluation, qui intègrent non pas seulement l’augmentation des richesses, mais aussi celle du bien-être ? Un livre récent de l’économiste Lucie Davoine, Économie du bonheur, rend compte de l’état actuel du débat…

Une illusion de bonheur ?

Ce livre aborde, entre autres, le rapport complexe de l’argent au bonheur. L’argent augmente fortement le bonheur des très pauvres, car il leur permet de satisfaire les besoins fondamentaux (nourriture, hébergement, sécurité). Puis son rôle devient de plus en plus faible pour les plus riches : 20 000 euros de plus par an sont décisifs pour un pauvre, mais anecdotiques pour un trader. Au-delà d’un certain seuil de richesse (celui qui assure une vie digne et paisible, dans un pays donné), l’argent ne représente plus le facteur de bonheur le plus puissant. Au contraire : le matérialisme excessif (croire que l’achat de biens et de services est le meilleur moyen d’être heureux), encouragé par notre société de consommation, devient un obstacle.

Ce matérialisme pousse par exemple les classes moyennes, dans leur désir d’imiter les plus riches, à se lancer dans une inutile course au luxe, qui les détourne de ce qui pourrait vraiment faire leur bonheur : car toutes les données montrent aussi que trop travailler rend moins heureux. Surtout si l’on sacrifie du temps de famille, d’amitié et de loisirs pour s’offrir des biens matériels pas forcément indispensables.

Ainsi, la surface moyenne des maisons aux États-Unis était d’environ 150 mètres carrés en 1980 ; en 2007, elle atteignait 215 mètres carrés, soit 45 pour cent d’augmentation, alors que sur la même période, les revenus n’avaient augmenté que de 15 pour cent, et que le nombre de personnes vivant dans ces maisons était resté stable. Même constat sur la taille et le prix moyens des modèles de barbecue vendus Outre-Atlantique : ils sont peu à peu devenus inutilement énormes et onéreux, sous la pression de la publicité et du mimétisme.

Il est de plus en plus obsolète, erroné et dangereux de penser qu’il n’y a aucun problème à ce que les riches s’achètent des montres à 30 000 euros, des voitures à 300 000 euros, des maisons à 3 000 000 euros ; de croire que cela donne du travail aux pauvres et fait rêver les classes moyennes, qui espèrent acquérir ces biens ; d’imaginer que tous travailleront pour ces objectifs, ce qui fera tourner l’économie, et rendra chacun heureux. Aujourd’hui, ce raisonnement ne résiste pas à l’analyse économique.

Liberté, égalité… bonheur

Alors, vers quoi se tourner pour accroître son bonheur ? Certains efforts sont personnels, nous ne les aborderons pas ici, mais ils sont bien connus des travaux de psychologie positive : limiter son stress, savourer l’instant présent, cultiver de bonnes relations aux autres… D’autres sont socio-économiques, et parmi eux, une donnée émerge : la démocratie rend plus heureux.

D’abord en tant que telle : pouvoir se sentir libre d’exprimer son avis, et avoir le sentiment qu’il compte, voilà qui facilite le bonheur. Ainsi, les Cantons suisses où il existe le plus grand nombre de « votations » (initiatives de référendums sur des thèmes de politique fédérale, cantonale ou communale) sont aussi ceux dont les habitants se sentent le plus heureux.

La démocratie est également bénéfique au bonheur par les valeurs qu’elle véhicule et les sentiments qu’elle suscite : les perceptions et observations quotidiennes de justice, d’égalité, de confiance entre les individus jouent un rôle majeur dans le sentiment d’être heureux. C’est vrai aussi d’un faible niveau d’inégalités et d’écarts de revenus, et d’une solidarité perceptible au quotidien. C’est ce qui a par exemple manqué aux citoyens de certains pays de l’Est lors de leur transition vers la démocratie : elle a commencé par s’accompagner d’inégalités croissantes et d’une destruction du tissu des solidarités traditionnelles, d’où une nostalgie paradoxale du bon vieux temps de la dictature du peuple.

Les dirigeants politiques s’inspirent de plus en plus de ces travaux. Non pour imposer à leurs citoyens une forme particulière de bonheur (il ne s’agirait plus de démocratie, mais de dictature), mais pour en créer les conditions. C’est ce qu’avaient pressenti les révolutionnaires américains en proclamant dans leur Déclaration d’indépendance de 1776 que les trois droits inaliénables de chaque humain étaient le droit à la vie, à la liberté, et à la poursuite du bonheur.

Le rôle des politiques est de créer un environnement permettant à chacun de s’occuper de son propre bonheur. De l’autre côté de l’Atlantique, et quelques années plus tard, Saint-Just écrivait en 1794 dans son rapport à la Convention : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Neuve, l’idée l’est encore en économie ; mais sans doute plus pour longtemps…

Bibliographie

  • L. Davoine, Économie du bonheur, La Découverte, 2012.
  • R. Frank, La course au luxe. L’économie de la cupidité et la psychologie du bonheur, Markus Haller 2010.
  • J. Stiglitz et al., Richesse des nations et bien-être des individus. Performances économiques et progrès social, Odile Jacob, 2009.
  • C. André, Vivre heureux, Psychologie du bonheur, Odile Jacob, 2003.

Références

  • Article paru dans la revue Cerveau & Psycho, L’essentiel N°14 mai-juillet 2013. www.cerveauetpsycho.fr
  • Auteur de l’article : Christophe André. Il est médecin psychiatre à l’Hôpital Sainte-Anne, à Paris.

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