L'avènement du e-learning annonçait, nous avait on dit, la fin de la formation en classe et du métier de formateur*. Certes, cette nouvelle technologie grignote des parts de marché aux tâches dévolues à l’enseignement intra-muros. Cela se voit dans l'enseignement obligatoire, la formation des apprentis, les hautes écoles ou la formation continue des adultes. Mais rassurez-vous : le métier de formateur ou d'enseignant ne va pas disparaître. Au contraire ! De nouvelles activités qui demandent des compétences différentes ont vu le jour. En tenir compte nous aidera à rester en phase avec cet univers en mutation et qui se cherche encore.
*Dans cet article, la notion de « formateur » fait référence tant aux femmes qu’aux hommes pratiquant cette activité.
Imaginez l’avènement de la machine à vapeur au XVIIIe siècle et le bouleversement qu’elle a imposé aux travailleurs de l'époque. Nous vivons une situation similaire. A deux différences fondamentales près : a) nous ne formons pas une matière inerte ou statique, mais des individus qui ont besoin de temps pour assimiler cette évolution; et b) ce qui nous permet de muter vers de nouveaux modèles est notre cerveau, lequel évolue beaucoup plus lentement que les technologies que l'humanité développe.
Plutôt que de parler des technologies, abordons le sujet sous l’angle de la formation à distance. Commençons par clarifier les termes de ce domaine.
e-learning
Il s’agit de la contraction anglaise de electronic learning, l'apprentissage électronique. Le e-learning, apparu dans les années nonante, regroupe l'ensemble des moyens d’enseigner via des outils électroniques.
Au début, ces outils présentaient des performances faibles comparées à celles d’aujourd’hui. La formation proposait un contenu sans interaction de l'apprenant.
Blended learning
L'arrivée de technologies toujours plus puissantes et d’un Internet de plus en plus dense et rapide a offert aux apprenants des outils facilitant les interactions entre contenu et apprenant, apprenant et formateur, et entre apprenants.
On parle alors de Blended learning ou « Apprentissage hybride ». Deux éléments principaux forment le Blended Learning : le présentiel (formation synchrone, en salle) et le distanciel (formation asynchrone à distance via des modalités digitales). La proportion de présentiel et de distanciel varie selon les objectifs pédagogiques et les contraintes périphériques à la formation. Cette variabilité dépend également du concepteur pédagogique appelé aussi techno-pédagogue.
Le présentiel d'une formation se compose de la formation en salle et de tout ce qu’amènent le formateur et les participants. Le distanciel se compose du e-learning, des forums, des classes virtuelles, des visioconférences des quiz et d'une foule d'activités variées plus ou moins ludiques.
MOOC
MOOC signifie Massive Open Online Course, soit une Formation en Ligne Ouverte à Tous (FLOT) aussi appelée Cours en Ligne Ouvert et Massif (CLOM).
Ce type de formation a une approche identique au Blended Learning, mais avec des outils adaptés au nombre considérable de participants susceptibles de s'y inscrire. Trois cent mille personnes ont suivi le cours d'introduction à l'informatique d’Udacity, qui est une plateforme de MOOC. Aujourd'hui, un grand nombre d'universités proposent une alternative à leur catalogue de formation : suivre son cursus sous forme de MOOC.
Il faut cependant relativiser l'engouement de cette forme d'apprentissage. Son taux de réussite est des plus faibles, seuls 5% des participants terminent la formation...
SPOC
Et pour boucler la boucle, voici le SPOC : Small Private Online Course ou Petit cours privé en ligne, version locale de la formation dispensée en milieu académique. Les SPOC complètent les cours en présentiel.
Pourquoi
La première question à se poser avant de former à distance est : « pourquoi utiliser de la technologie au lieu de la formation classique en présentielle ? » Si la réponse est « pour faire des économies », je vous encourage tout de suite à renoncer à ce projet ! En effet, les coûts de la formations à distance sont aussi importants, voire plus, que ceux d’une formation classique.
Cela dit, former à distance recèle de nombreux avantages dont voici les principaux :
- La prolongation de la durée de la formation, incluant des activités avant et après cette dernière. Tout cela en mobilisant les apprenants et le formateur aux moments qui leur conviennent le mieux.
- Un environnement de formation hors de la classe et intégré dans la pratique professionnelle de l’apprenant.
- L’implication des apprenants dans leur apprentissage.
- Des interactions sociales favorisées et valorisées.
- Un environnement de formation où l’hétérogénéité est une force pour le groupe.
- Une grande diversité des supports utilisés.
- La disponibilité des contenus en tout temps et lieu.
- L’étude au rythme de l’apprenant, possibilité de revenir sur certains sujets et de survoler certains autres.
- Des cours dynamiques ou l’apprenant est l’acteur principal.
- Une application concrète des avantages du socio-constructivisme.
- La possibilité d'échanger avec d'autres participants et/ou le(s) formateur(s) en tout temps.
Cette liste non exhaustive ne doit pas occulter les éléments rédhibitoires suivants pour une formation à distance réussie :
- Le faible niveau de digitalisation des apprenants et des formateurs.
- La non-planification du temps nécessaire de l'apprentissage à distance pour les apprenants.
- Le manque d'implication des apprenants.
- L'invariabilité des activités proposées.
- La non-implication tant des apprenants que du/des formateur(s).
- Le manque de temps que le formateur consacrera aux activités liées à la plateforme et au suivi entre les sessions présentielle.
- L'isolement de certains apprenants.
- Les problèmes techniques.
- L’absence d'immédiateté dans les interactions à distance.
Quelle plateforme utiliser
La plateforme d'apprentissage ou plateforme pédagogique, Learning Management System (LMS) en anglais, repose sur le principe du socio-constructivisme. Celui-ci définit une pédagogie centrée sur l'apprenant et son environnement. Cette démarche exige une implication de toutes les parties. A contrario, Dropbox n'est pas une plateforme d'apprentissage, mais un service de stockage et de partage de fichiers.
De nombreuses plateformes sont disponibles. Certaines gratuitement et d'autres payantes. Les deux cas permettent des créer et d'administrer des contenus de formation et des espaces de collaboration en ligne. Elles proposent de nombreuses activités appelées aussi interactions pédagogiques (wikis, blogs, forums, devoirs, Chats, tests, feedbacks, gestion des listes de présences, dossiers pour partager des fichiers, etc.)
Pour ma part, je ne les ai pas toutes testées. Selon mes observations, l'outil est rarement le problème. Le bât blesse en générale du côté de ce que l'enseignant en fait ou de l’interaction qu'il n'établit pas. De mon côté, je suis actif sur Moodle (abréviation de Modular-Object-Oriented-Dynamic-Learning-Environment ou Environnement orienté objet d'apprentissage dynamique modulaire). Plusieurs avantages à Moodle : sa gratuité. Ensuite, sa structure fondée sur les grands principes pédagogiques. A noter aussi qu’une vaste communauté supporte et développe Moodle et le fait sans cesse évoluer. Enfin: toutes les hautes écoles de Suisse et une majorité d’universités étrangères réputées l’utilisent. D’autres institutions y recourent: écoles professionnelles, centres de formations continues. Cela facilite la prise en main des apprenants ayant déjà eu l'occasion de l’utiliser.
Pour ma part, j’utilise Moodle pour des formations courtes d’une journée, dans des cursus plus longs (plusieurs jours) et dans le cadre de projets avec des partenaires.
La formation à distance et l'apprenant
L'apprenant constitue le cœur de la formation à distance. Ce type de formation requiert des apprenants impliqués, responsables et autonomes (ce type d'apprentissage développe ce dernier point).
Pour les apprenants peu ou pas digitalisés, la formation en présentiel commencera par des activités en salle destinées à les familiariser avec la technologie. La complexification des activités à distance aura lieu de manière progressive. Le formateur prendra soin d’expliquer aux apprenants ce qu’il attend d’eux et comment s’y prendre, sur un plan technique, pour y arriver.
Afin de favoriser la dynamique de groupe, je suggère de faire collaborer les personnes de manière hétérogène par rapport à leurs compétences techniques.
L'implication du formateur
En plus de son rôle pédagogique, le formateur joue un rôle d'accompagnant dans l'apprentissage de ses apprenants. Il supervise les activités à distance, interagit avec les apprenants et valorise le travail à distance lors des séances en présentiel. Travail important à ne pas négliger au risque de voir la crédibilité du processus tomber à l'eau.
Vous pouvez confier tout ou partie de la conception du cours à une tierce personne au profil plus technique, mais cela se traduit par une perte pour l'interaction pédagogique. Un peu comme si un formateur confiait à quelqu’un au profil administratif de concevoir l’entier du dispositif pédagogique d’une formation qu'il dispenserait lui-même...
Le rôle de l'institut de formation
Son rôle consiste à mettre à disposition des formateurs et des apprenants un outil performant et fonctionnel. Il est aussi le mieux placé pour soutenir ses formateurs dans l’apprentissage de ces outils. Il devra gérer la plateforme et superviser certaines activités administratives.
Attentif et conscient des besoins du cerveau apprenant, il veillera à prévoir du temps afin que le formateur puisse réaliser un réel travail d'accompagnement.
Les coûts
La formation à distance n’offre pas d’économies financières. Sauf pour des gros volumes de formation, et encore… Les coûts liés à l’action de la formation hors de la classe se reportent ainsi:
- Les coûts imputés aux locaux, au mobilier, ainsi qu'au personnel qui gère ces espaces seront reportés sur les frais liés à l'infrastructure informatique, les licences et la gestion de la plateforme.
- Les coûts qui sont imputés à la présence du formateur en salle, seront reportés sur le formateur lui-même pour, la préparation spécifique de la partie interactive à distance et le suivi des tâches effectuées à distance ainsi que la gestion des interactions entre, et avec, les participants.
L'investissement en temps du formateur est des plus importants. Il doit en effet penser son scénario pédagogique dans les moindres détails, sans possibilités d’improvisation...
Conclusion
Les changements à venir augurent des bouleversements importants. Ceux-ci toucheront davantage les formateurs que les apprenants, lesquels consomment déjà de nombreux produits à distance.
Deux certitudes demeurent. Tout d’abord que les interactions en face à face avec nos apprenants resteront à la base d’un apprentissage efficace et durable. Ensuite, que nous, formateurs, devons consacrer notre énergie non pas à lutter contre ces outils, mais à les apprivoiser et les valoriser. Ce faisant, l’ensemble de la filière de la formation en profitera.
Références
- Article rédigé par Alain Binggeli formateur, consultant et coach en entreprise, société Organize à Morges.
- Article publié dans l'Agora (Revue des formateurs romands - ARFOR) d'octobre 2018.