Courir, nager, faire du vélo… Une activité physique, si elle est régulière, diminue les symptômes des personnes dépressives. Pour beaucoup de patients, ce serait même le traitement le plus efficace et le plus sain.

En bref

  • Les preuves scientifiques s’accumulent : l’exercice physique représente bien un traitement efficace contre la dépression légère à modérée.
  • Le sport renforce, entre autres, notre capacité biologique de résistance au stress, stimule la synthèse de nouveaux neurones et améliore l’estime de soi. Alors, bougez !
  • D’autant qu’à l’inverse, l’inactivité physique augmente le risque de dépression.

Le 14 février 2014, jour de la Saint-Valentin, Elizabeth Droge-Young est admise à l'hôpital de Syracuse, dans l'état de New York. Depuis plus d'un an, elle se bat contre la dépression : elle mange peu, et mal, perd tout intérêt pour ses petits plaisirs d'avant – les films, les livres et la musique. Elle s'est progressivement éloignée de ses amis et manque régulièrement les cours de l'université où elle est inscrite en master de biologie évolutive. Depuis cet hiver, Elizabeth est parfois incapable de sortir de son lit, malgré l'action des antidépresseurs qu'elle a commencé à prendre à l'automne dernier. Dans les moments les plus sombres, des pensées obsessionnelles d'automutilation et de suicide lui traversent l'esprit. C'est alors qu'elle réalise qu'elle a sérieusement besoin d'être aidée.

Après une semaine et demie passée à l'hôpital de Syracuse, sous étroite surveillance pour éviter qu'elle ne se suicide pas, et traitée par un sérieux cocktail de médicaments, Elizabeth rentre chez elle, dispensée de cours jusqu'à la fin de l'année. Un temps, elle semble aller mieux. Mais quand elle retourne à l'université à la rentrée, sa tristesse incontrôlée et ses pulsions morbides refont surface. Cette fois, on l'oriente vers l'hôpital de Saratoga Springs, à deux heures et demie de route de chez elle, où les médecins lui proposent une prise en charge plus globale. En plus des médicaments et des consultations psychologiques, ceux-ci lui prescrivent des activités quotidiennes : de l'art créatif et des marches à pied en plein air. Pendant son séjour, un thérapeute lui conseille également de pratiquer une autre activité physique. À sa sortie, Elizabeth commence à fréquenter les salles de sport, trois à cinq fois par semaine, pour marcher ou courir sur les tapis de course, lever des haltères ou suivre les très populaires cours de Zumba.

« C'était très ressourçant », confie Elizabeth qui, à 33 ans, est aujourd'hui journaliste scientifique free-lance à Providence, la capitale de l'État de Rhode Island. « Cela a eu un effet très positif sur mon humeur. C'est comme si l'exercice permettait de reconnecter l'esprit et le corps. Ça a quelque chose de magique. Lever des poids ou courir demande de poser un regard sur soi : « Tu vois à quel point tu es solide et endurante ? Il y a du positif en toi. » Et danser me procurait une sensation de joie – les mouvements s'enchaînaient avec une certaine liberté et un réel bien-être. » Elizabeth n'a alors jamais plus été hospitalisée. La danse, le vélo… sont, pour elle, des composantes essentielles de son traitement.

Reconnecter l'esprit et le corps

Depuis longtemps, on sait que l'exercice est bon pour la santé physique. Des dizaines d'années de recherche ont montré qu'une activité sportive régulière diminue le risque de développer de nombreuses maladies – pathologies cardiovasculaires, obésité, diabète, cancer – et augmente la durée de vie. Mais les bénéfices de l'exercice sur la santé mentale sont moins bien connus. Nous faisons du sport pour « rester en forme », et nous comptons souvent sur les sorties à vélo, les séances de courses à pied ou de yoga pour nous changer les idées et évacuer le stress. Pour autant, considérons-nous l'exercice physique comme un traitement sérieux des maladies mentales, aussi efficace que les médicaments ou les séances chez le psychologue ou le psychiatre ? Des activités sportives régulières et durables permettent-elles vraiment d'atténuer certains troubles psychologiques ?

Oui, la science l'affirme pour les troubles dépressifs. Certes, l'exercice physique n'est pas un remède miracle, et peut même être futile dans les cas de dépression grave. Mais il représente bien plus qu'un leurre mental ou qu'un simple traitement palliatif pour la plupart des patients souffrant de dépression légère ou modérée. Ce serait même l'un des traitements les plus efficaces, les plus sûrs, les plus pratiques, les plus économiques et les plus agréables qui soient. Le psychologue clinicien James Blumenthal, de l'université Duke, en Caroline du Nord, le confirme : « Je crois profondément aux vertus de l'activité physique. Une majorité d'études rapporte que les bénéfices liés à l'exercice seraient aussi importants, voire plus élevés, que ceux des médicaments pour certains patients. » Le psychiatre Madhukar Trivedi, du centre médical Southwestern de l'université du Texas, qui étudie la relation entre le sport et les maladies mentales depuis plus de quinze ans, le confirme : « La bibliographie scientifique qui présente l'exercice comme un facteur de lutte contre les maladies mentales est longue et riche. Nous avons déjà évalué les doses d'activité nécessaires, les avons intégrées dans les traitements de substitution et avons analysé les marqueurs biologiques associés à la guérison. »

Les preuves scientifiques s'accumulent

Qu'est-ce que la dépression » Cette maladie se caractérise par une humeur triste persistante et par une perte d'intérêt pour des activités généralement plaisantes, souvent accompagnées de périodes d'insomnie, de fatigue, d'un manque de concentration et d'une faible estime de soi. Selon l'Organisation mondiale de la santé (l'OMS), c'est l'une des principales causes de handicap et de mort dans le monde, avec quelque 350 millions d'individus concernés. En France, entre 2 et 3 millions de personnes sont touchées par un épisode dépressif chaque année. Seuls certains patients sollicitent l'aide d'un médecin, et parmi ceux-ci, un tiers seulement répond au traitement classique qui combine une prise en charge par un spécialiste et la consommation de médicaments. Si l'on ajoute à cela le fait que les antidépresseurs présentent de sérieux effets secondaires – troubles digestifs et cutanés, sédation importante… –, on comprend aisément pourquoi des patients se tournent vers des thérapies différentes, plus naturelles : le yoga, la phytothérapie, l'acupuncture, la méditation… et le sport.

Les psychologues et les cliniciens étudient l'intérêt du sport comme traitement alternatif de la dépression depuis plus de trente ans. James Blumenthal en a été l'un des précurseurs. Dans les années 1980, son équipe a analysé l'impact de l'exercice physique chez les patients atteints de pathologies cardiovasculaires et a identifié un bénéfice inattendu : l'amélioration de l'humeur et la diminution des symptômes dépressifs. Puis, dans l'une des premières études publiée en 1999, la même équipe a suivi pendant 16 semaines 156 hommes et femmes dépressifs, dont la prise en charge comprenait soit une activité physique régulière, soit la consommation d'antidépresseurs, soit les deux. Résultat : l'état de tous les patients était quasi identique à la fin de leur thérapie, mais le risque de rechute était plus faible pour ceux qui avaient fait du sport.

Dix ans plus tard, les chercheurs ont réparti 200 volontaires dépressifs dans quatre programmes : soit ils suivaient des activités sportives avec un « coach », soit ils pratiquaient des exercices à la maison, soit encore ils prenaient des antidépresseurs ou avalaient un placebo (sans molécule active). Les résultats ont montré que les patients engagés dans des exercices physiques supervisés par un entraîneur étaient en meilleure santé que ceux pratiquant chez eux, et qu'ils présentaient un taux de rémission comparable aux sujets traités par antidépresseurs : 45% et 47% respectivement. Les patients faisant du sport à la maison connaissaient une rémission dans 40% des cas, contre seulement 31% pour ceux ayant pris le placebo.

En 2015, des scientifiques suédois ont confirmé ces résultats. Ils ont demandé à 946 patients atteints de dépression légère ou modérée de suivre l'un des trois programmes de 12 semaines suivants : soit trois séances de yoga, d'activité physique ou d'entraînement musculaire par semaine ; soit une thérapie comportementale et cognitive (TCC) ; soit une prise en charge classique – consultations et antidépresseurs. Tous les patients se sont sentis mieux et ont vu leurs symptômes diminuer après leur traitement, mais ceux pratiquant des activités sportives ont obtenu de meilleurs résultats que les autres, suivis de près par les sujets traités par TCC et loin devant ceux ayant bénéficié d'une prise en charge standard.

À ce jour, de nombreuses métaanalyses, explorant les résultats de plusieurs études scientifiques, ont été menées sur le sujet. Toutes ne convergent pas : certaines concluent à l'absence d'effets du sport, quand il est utilisé comme unique thérapie, d'autres à une faible amélioration ou à un avantage modéré à long terme. Mais la majorité s'accorde sur un point : ajouter de l'exercice physique à une prise en charge classique augmente le bénéfice pour les patients. En 2013, l'organisation non gouvernementale Cochrane, une référence en termes de publication médicale, a même révélé que l'exercice physique était aussi bénéfique pour les sujets dépressifs que la prise en charge standard.

C'est aussi la conclusion d'une nouvelle méta- analyse publiée en 2016. Une équipe internationale de chercheurs a analysé 25 des études les plus sérieuses sur ce sujet et montré que le sport, modéré à vigoureux, réalisé sous le contrôle d'un professionnel, représentait un traitement efficace contre la dépression. Dès lors, ils estiment que les résultats sont si probants que 1’000 nouvelles études aboutissant à des effets nuls d'une activité physique seraient aujourd'hui nécessaires pour invalider ces conclusions défendant les bienfaits du sport sur la santé mentale. Selon une autre analyse, pour le traitement des symptômes dépressifs, les taux de guérison seraient 67 à 74% plus élevés en présence d'exercice physique.

Faut-il suer pour guérir ?

Mais quel type de sport est efficace ? À quelle intensité ? En 2005, Madhukar Trivedi, du centre médical Southwestern de l'université du Texas, et ses collègues ont suivi pendant trois mois la santé de 80 adultes atteints de dépression légère ou modérée engagés dans un programme de fitness régulier – trois à cinq fois par semaine – sur tapis de course ou sur vélo d'appartement. La moitié faisait du sport à faible intensité (7 kilocalories par kilogramme et par semaine), l'autre à plus forte intensité (17,5 kilocalories par kilogramme et par semaine). À la fin de l'étude, les adultes du programme intensif ont diminué leurs symptômes de 47%, contre seulement 30% pour ceux du programme à faible intensité et 29% pour un groupe de patients ayant fait uniquement des activités de musculation (sans activité d'endurance cardiovasculaire).

Forts de ces résultats, des psychologues, des cliniciens ainsi que les autorités sanitaires sont allés jusqu'à publier quelques conseils spécifiques. Madhukar Trivedi prescrit chaque semaine 3 à 5 séances d'endurance, de 45 à 60 minutes (marche, course, vélo…), à une intensité de 50 à 85% de sa fréquence cardiaque maximale. « L'idéal se situe sans doute autour de 16 kilocalories brûlées par kilogramme, soit 1’200 à 1’500 kilocalories par semaine pour un individu de poids moyen », précise Trivedi. « Si vous pouvez discuter avec votre conjoint au téléphone en même temps, c'est que vous ne travaillez pas à la bonne intensité. » De même, le psychologue de l'université Central Queensland, en Australie, Robert Stanton, recommande des séances d'endurance de 30 à 40 minutes, 3 à 4 fois par semaine, à faible intensité pendant au moins 9 semaines. Et l'Institut de santé américain prône un programme de sport collectif pour les patients atteints de dépression faible à modérée, comprenant au moins 3 séances de 45 minutes par semaine sur un minimum de 10 semaines.

Néanmoins, d'autres spécialistes pensent qu'il est trop tôt pour tirer des recommandations précises. En 2013, une étude a conclu que les exercices cardiovasculaires tout comme les exercices de résistance musculaire sont efficaces, séparément ou combinés, dans la lutte contre la dépression, mais que les données restent aujourd'hui insuffisantes pour mettre en avant une forme d'activité physique plutôt qu'une autre. « Quel exercice a le meilleur effet sur l'humeur ? Et à quelle intensité ? Est-il plus efficace pratiqué seul ou associé à un autre traitement ? Nul ne le sait encore », affirme le psychologue Michael Otto, de l'université de Boston, qui a étudié les bénéfices émotionnels et cognitifs de l'exercice physique. « Nous pouvons donner des conseils, mais nous avons encore besoin de données pour être plus spécifiques. »

La sédentarité nous rend dépressif

Autre constat : si l'exercice physique soigne la dépression, l'inactivité, à l'inverse, peut la provoquer. En 2014, une étude réalisée avec plus de 6’000 Anglais âgés a révélé que plus les participants regardaient la télévision, plus ils présentaient des symptômes dépressifs (ce qui n'est pas le cas pour d'autres activités sédentaires comme la lecture). Mais ceux qui participaient à des exercices physiques intenses au moins une fois par semaine étaient moins déprimés. De même, une autre enquête menée auprès de 5’000 étudiants chinois a montré que plus un jeune passait de temps devant la télévision ou un écran, plus il risquait de développer des signes de dépression. En revanche, ce risque chutait avec l'activité physique, quels que soient l'âge, le sexe ou le milieu social du jeune. Une métaanalyse rassemblant 24 études et près de 200’000 participants est arrivée à la même conclusion : la sédentarité augmente la probabilité de faire une dépression. En moyenne, les personnes actives physiquement ont 45% de risques en moins de développer une dépression, comparées aux gens inactifs, selon l'Office américain de prévention des maladies et de promotion de la santé (ODPHP pour Office of Disease Prevention and Health Promotion).

Au-delà des fondements physiologiques, de nombreux facteurs sociaux et psychologiques aident à comprendre le rôle de l'exercice physique dans la diminution des symptômes dépressifs. Les patients qui ont dû lutter contre la maladie considèrent que le sport leur a fourni de l'énergie et un objectif à atteindre. Il a aussi amélioré leur estime de soi et leur humeur, a régulé leur appétit et leur sommeil, et les a distraits de leurs pensées négatives. Et pour ceux qui pratiquent en groupe, le sport permet de créer de nouveaux liens sociaux, de renouer avec les autres.

L'importance du facteur plaisir

D'abord, les patients doivent souvent apprendre à lutter contre le manque de motivation. Madhukar Trivedi explique : « Nous leur donnons des outils pour contrôler leurs progrès. Nous leur demandons de se connecter en ligne pour dialoguer avec nous. Si nous découvrons qu'un patient a manqué un jour d'exercice, nous travaillons avec lui sur le problème et nous nous assurons que le programme d'activité sera effectivement complété avant la fin de la semaine. » Jennifer Carter, directrice de la division Psychologie du sport au centre médical Wexner de l'université d'État de l'Ohio, aux États-Unis, propose quelques astuces, par exemple : « Sachant qu'une journée comprend 1’440 minutes, il doit être possible d'en réserver 30 pour l'exercice physique… »

La capacité de se motiver dépend surtout de la satisfaction et du niveau d'autonomie que les patients retirent de l'activité sportive. Michael Otto le précise : « Le plaisir est étroitement lié au niveau d'implication que les patients mettent dans l'exercice. J'aimerais qu'ils fassent ce qui est le plus amusant et le plus distrayant pour eux, peu importe ce que c'est. » Selon les scientifiques, l'activité physique représente un traitement efficace contre la dépression si le patient peut choisir le type de sport et son intensité. La plupart des sujets privilégient une intensité modérée, autour ou juste en dessous du premier seuil ventilatoire – au moment où la respiration devient plus difficile. En 2011, Patrick Callaghan, directeur du département des sciences de la santé à l'université de Nottingham, en Angleterre, et ses collègues ont invité 38 femmes atteintes de dépression à s'exercer sur un tapis de course en petits groupes, trois fois par semaine, soit à une intensité imposée, soit à une intensité choisie par la patiente. Après un mois, les participantes ayant déterminé elle-même l'intensité de leurs exercices physiques étaient moins dépressives et avaient une meilleure estime d'elles-mêmes que les femmes auxquelles on avait imposé l'intensité des activités.

À quand le remboursement des cours de sport ?

Malgré ces preuves scientifiques de plus en plus nombreuses, certains professionnels de la santé et du soin restent sceptiques. Selon Madhukar Trivedi, « il est encore difficile de considérer le sport comme un traitement à part entière des symptômes dépressifs – plutôt qu'un traitement additionnel, à l'instar d'un meilleur sommeil ou d'une alimentation plus équilibrée ». Et les abonnements à la salle de sport ne sont pas remboursés par la sécurité sociale ou les mutuelles… Pourtant, les antidépresseurs coûtent bien plus cher !

Les patients auraient aussi intérêt à voir les choses autrement. Pour Michael Otto, « les gens dépressifs ont des difficultés à considérer l'activité physique comme un traitement efficace. En général, nous faisons du sport quand tout va bien, pour nous pavaner sur la plage ou perdre du poids ». Nous n'avons pas conscience de l'importance de l'exercice physique sur notre équilibre mental : « Même si vous sentez cette envie prégnante de vous isoler et de ne rien faire, l'activité physique vous pousse à sortir. La dépression donne le sentiment que rien n'a de sens ni d'importance. C'est précisément ce que combat l'exercice. » Elizabeth Droge-Young, quant à elle, l'a bien compris, et semble désormais guérie.

Supplément

Qu’est-ce que la dépression ?

La dépression se manifeste par neuf types de symptômes définis par l’Organisation mondiale de la santé et l’Association américaine de psychiatrie. Pour que le diagnostic soit posé, le patient doit en présenter au moins cinq, presque tous les jours depuis au moins deux semaines, dont obligatoirement l’un des deux premiers de cette liste :

  • Une tristesse quasi permanente, avec parfois des pleurs (humeur dépressive).
  • Une perte d’intérêt et de plaisir à l’égard des activités quotidiennes, même celles habituellement plaisantes (une anhédonie).
  • Un sentiment de dévalorisation et de culpabilité excessif ou inapproprié.
  • Des idées de mort ou de suicide récurrentes, le sentiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
  • Un ralentissement psychomoteur.
  • Une fatigue (ou asthénie), souvent dès le matin.
  • Une perte d’appétit, souvent associée à une perte de poids.
  • Des troubles du sommeil avec en particulier des insomnies matinales.
  • Des difficultés attentionnelles, de concentration et de mémorisation.

Pour les patients qui présentent entre cinq et sept symptômes, la dépression est considérée comme légère à modérée. Au-delà de huit, elle est dite grave. Des échelles d’autoévaluation (par le patient lui-même) ou d’hétéroévaluation (par le médecin) permettent de déterminer précisément la gravité des symptômes.

cp 86 depression

Comment le sport soigne le cerveau

Une activité physique régulière améliore l’humeur et diminue les symptômes dépressifs. Comment ? Depuis dix ans, les scientifiques ont découvert des éléments de réponse, notamment sur la façon dont l’exercice physique modifie le cerveau. À la seconde où vous courez, pédalez ou soulevez un haltère, la chimie de votre corps commence à changer. Le sport accélère la fréquence cardiaque et disperse davantage le sang, l’oxygène, les hormones et les neuromédiateurs dans l’ensemble de l’organisme. Sur le moment, ce dernier réagit à l’exercice comme à une forme de stress – mais qui, au final, est bénéfique. Les études suggèrent que l’exercice modéré régulier provoque un meilleur câblage du cerveau et une activation du système immunitaire qui rendent le corps plus performant dans la lutte contre les tensions physiques et mentales. Plus nous vivons un stress varié (et non chronique et permanent), moins nous avons de risques de développer un épisode dépressif. De fait, la plupart des scientifiques considèrent la dépression comme un trouble de la gestion du stress.

L’activité physique fait pousser les neurones

À certains égards, le sport a des effets chimiques comparables à ceux des antidépresseurs. Plusieurs études ont mis en évidence un lien entre des cas de dépression et un défaut de croissance des neurones et des connexions qui les relient entre eux. Dans le cerveau de patients atteints de dépression grave, on observe une atrophie, associée à une perte de neurones, de certaines régions comme l’amygdale, impliquée dans les émotions, l’hippocampe, une structure jouant un rôle central dans l’apprentissage et la mémoire, et le cortex préfrontal, siège des fonctions cognitives complexes, comme la planification. Les antidépresseurs, en augmentant les concentrations de sérotonine et d’autres neurotransmetteurs, stimuleraient la prolifération neuronale, en partie via l’action d’un facteur dit neurotrophique : le bdnf (brain-derived neurotrophic factor). D’autres travaux réalisés chez l’homme et l’animal ont montré que l’exercice physique favorise la création de nouveaux neurones dans certaines régions de l’hippocampe, ainsi que dans différentes aires du cortex. Le sport engendre aussi la production de nouvelles cellules sanguines et une irrigation plus efficace du système nerveux, et, par conséquent, prolonge la durée de vie des neurones. Ces effets sont provoqués par une augmentation naturelle, dans l’organisme, de la concentration d’hormones de croissance, comme le bdnf, et de neurotransmetteurs, surtout la dopamine, la molécule associée au plaisir et à la motivation.

En 2001, par exemple, des scientifiques ont révélé que des rats sous antidépresseurs ayant la possibilité de courir ont synthétisé plus de bdnf que ceux ne pouvant pas courir ou ne recevant que les médicaments. Encore mieux : les rongeurs étaient aussi plus résistants au stress, nageant plus longtemps et renonçant moins vite que les autres quand les chercheurs les plaçaient dans un bassin sans aucune issue – un test conçu pour évaluer le stress chez l’animal.

En 2016, des chercheurs brésiliens ont réparti 57 participants atteints de dépression modérée ou grave, traités par sertraline (un antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine), dans deux programmes : soit 4 séances d’endurance par semaine pendant 28 jours, soit aucune activité physique. Tous les patients ont vu leur état s’améliorer, mais ceux ayant fait du sport ont pu diminuer la quantité d’antidépresseurs consommée. Selon les scientifiques, l’activité physique renforcerait les effets biochimiques des médicaments. Des études similaires ont d’ailleurs révélé que le simple fait d’introduire des changements bénéfiques pour la santé – par exemple, mieux dormir ou faire de l’exercice – augmente souvent l’efficacité d’une molécule, passant de 10% de rémission dans le cas d’antidépresseurs pris seuls à 60% lorsque le traitement est associé à des activités sportives.

Et en 2015, le physicien Helmuth Haslacher et ses collègues, de l’université médicale de Vienne, ont comparé la santé mentale et les génomes de 55 athlètes séniors, marathoniens ou cyclistes réguliers, à celle de 58 séniors non entraînés. Dans ce deuxième groupe, les chercheurs ont découvert un lien entre le nombre d’épisodes dépressifs traversés au cours de leur vie et la présence d’un variant génétique particulier capable de perturber la synthèse de bdnf. Mais aucune corrélation de ce type chez les athlètes. Haslacher et ses collègues ont donc conclu que les exercices d’endurance intenses et durables peuvent, en stimulant la production de bdnf, contrebalancer les effets d’une prédisposition génétique à la dépression.

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Bibliographie

  • E. Tajik et al., A study on level of physical activity, depression, anxiety and stress symptoms among adolescents, J. Sports Med. Phys. Fitness, en ligne le 22 décembre 2016.
  • F. B. Schuch et al., Exercise as a treatment for depression : A meta-analysis adjusting for publication bias, Journal of psychiatric research, vol. 77, pp. 42-51, 2016.
  • H. Haslacher et al., Physical exercise counteracts genetic susceptibility to depression, Neuro­psychobiology, vol. 71, pp. 168-175, mai 2015.
  • G. M. Cooney et al., Exercice for depression, Cochrane database of systematic reviews, n° 9, article n° CD004366, 2013.

Références

  • Article paru dans la revue Cerveau & Psycho, N°86 Mars 2017. www.cerveauetpsycho.fr
  • Auteur de l’article : Ferris Jabr, journaliste scientifique et éditeur aux magazines Scientific American, Mind, New York Times Magazine, The New Yorker et Outside.

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