Après une maladie ou un stress intense, la résilience peut « se travailler » en pratiquant régulièrement des activités de méditation de pleine conscience, qui limitent les effets du stress sur l’organisme.
En bref
- Un deuil, la perte d’un emploi ou une maladie grave, et c’est votre système du stress qui se met en état d’alerte. Avec des conséquences potentiellement graves sur vos cellules.
- Des études récentes ont montré que la méditation de pleine conscience limite l’usure des chromosomes.
- C’est en atténuant les effets du stress qu’on limite l’impact des épreuves de vie sur le corps et le psychisme.
Observer sa propre respiration. Accepter les choses comme elles viennent, comme elles sont. Lorsque les pensées dérivent, revenir à la respiration, à l’ici et maintenant. Cela a l’air très simple. Mais quiconque s’est déjà essayé à la méditation de pleine conscience le sait : c’est plus facile à dire qu’à faire. Les pensées sur le passé et l’avenir, les jugements et les appréciations, parfois aussi les soucis, nous accompagnent en permanence, souvent sans que nous nous en apercevions. Les mettre de côté, même pour un court laps de temps, est en soi une petite victoire.
De nombreuses études menées ces dernières années montrent que la méditation de pleine conscience pourrait être une aide à la résilience car elle réduit le stress, que ce soit chez les personnes en bonne santé ou chez celles atteintes de dépression ou de maladies corporelles graves. Les chercheurs tentent aujourd’hui de l’établir clairement, non seulement au moyen de questionnaires, mais aussi en utilisant des indicateurs physiologiques mesurables. D’après une équipe dirigée par la psychologue canadienne Linda Carlson, cette pratique a un effet biologique puissant, notamment chez les patientes atteintes de cancer. Une façon de « cicatriser » en quelque sorte, pour repartir de l’avant.
Chez ces patientes, on constate en effet, dans la plupart des cas, un raccourcissement de l’extrémité des chromosomes appelées télomères. Les télomères sont constitués de séquences d’ADN répétées et de protéines ; ils sont souvent rongés chez les personnes atteintes de maladies cardiovasculaires, de diabète ou d’infections. Par ailleurs, des examens attentifs ont révélé que des télomères raccourcis sont associés à une plus forte mortalité chez des patientes victimes de cancer du sein. Et comme la longueur des télomères est influencée par le niveau de stress vécu, elle est considérée comme un « psychobiomarqueur ».
Carlson et ses collègues ont analysé des échantillons sanguins de 88 femmes ayant un cancer du sein, qui avaient déjà suivi une thérapie (jusqu’à des traitements hormonaux, pour certaines d’entre elles). Ces femmes soumises à des niveaux de stress supérieurs à la moyenne ont été divisées de façon aléatoire en deux groupes.
Les patientes du premier groupe ont alors suivi un programme de méditation de pleine conscience pendant huit semaines, alors que celles du second groupe se voyaient proposer une thérapie fondée sur la parole, d’après le modèle de la thérapie de groupe par la parole et le soutien (supportive-expressive group therapy, en anglais). A titre de comparaison, un groupe témoin assistait à un séminaire sur la gestion du stress. Avant et après les interventions, des prélèvements sanguins étaient réalisés à intervalles de trois mois, pour mesurer la longueur des télomères.
Les résultats de cette étude ont été publiés en 2015. Chez les femmes du groupe contrôle, les télomères s’étaient nettement raccourcis durant la période du suivi. Chez celles qui avaient pratiqué la méditation ou qui avaient participé à la thérapie de groupe par la parole et le soutien, ils n’avaient pas rétréci. Selon Carlson, cela montre un effet résilient et antistress de l’entraînement, dont seules les participantes du groupe témoin n’avaient pas bénéficié. « La méditation de pleine conscience favorise les états de relâchement. L’organisme réduit alors sa libération d’hormones du stress, comme le cortisol, l’adrénaline ou la noradrénaline, » explique-t-elle. Un effet qui pourrait alors modifier certains facteurs immunitaires, qui agissent sur les terminaisons des chromosomes. « Réduire les concentrations d’hormones du stress serait alors un moyen de protéger nos télomères. »
Au point d’infléchir l’évolution d’une maladie ? Cela reste à prouver. « On ne sait pas encore très bien dans quelle mesure des changements intervenant sur les hormones, les cellules immunitaires et les télomères ont un impact sur la progression d’une maladie, admet la chercheuse. » Les études réalisées à ce jour ne sont pas unanimes. Un an avant Carlson, l’équipe de Cecile Lengacher, de l’université de Floride du Sud, avait voulu savoir comment la réduction du stress obtenue par méditation de pleine conscience (la Mindfulness-Based Stress Reduction, ou MBSR, en anglais) agissait sur les télomères des patientes cancéreuses. Une enzyme du nom de télomérase est responsable de l’entretien et de la réparation de ces télomères. Si son activité vient à diminuer, toute une série de maladies peuvent en résulter.
Des chromosomes qui « cicatrisent »
L’équipe de Lengacher a monté le protocole suivant : 142 patientes ayant terminé leur traitement contre leur cancer du sein ont été soumises soit à un programme de méditation MBSR, soit à des soins complémentaires habituels. Au début, mais aussi six mois puis douze mois plus tard, toutes ont subi un prélèvement sanguin et une analyse psychologique. Les chercheurs ont alors observé que, chez les patientes ayant suivi le programme MBSR, l’activité de la télomérase avait augmenté de 17 %, alors qu’elle était restée inchangée chez les patientes du groupe témoin. Mais contrairement à ce qu’avait observé Carlson, la longueur des télomères n’avait pas varié, ni dans un groupe ni dans l’autre.
Peut-être, supposent Lengacher et ses collègues, faut-il plus de temps pour que les variations des télomères soient observables, alors que l’activité de la télomérase réagit plus rapidement. Un autre facteur d’incertitude serait lié aux différentes thérapies suivies antérieurement par les patientes. Carlson a une autre explication : « Les participantes étudiées par Lengacher étaient peut-être trop différentes les unes des autres. De notre côté, nous avions pris soin d’intégrer à notre étude uniquement des femmes ayant enduré un niveau de stress particulièrement élevé « .
Grâce à un entretien final réalisé sur 128 de ses patientes, Carlson a pu montrer que la pratique de la méditation de pleine conscience un an après l’intervention produisait une plus nette baisse du stress et une meilleure élévation de la qualité de vie qu’un suivi en thérapie de groupe. Mais cette dernière mesure n’a pas inclus de biomarqueurs, comme les télomères.
De nombreuses études réalisées ces dernières années ont mis en évidence une modification de l’activité cérébrale par la méditation. Avec des résultats fiables et stables, d’après Britta Hölzel, de l’université technique de Münich. On note une activation de l’hippocampe, qui réagit avec sensibilité au stress, ainsi que de l’amygdale et du cortex préfrontal, essentiels à la régulation des émotions. Lorsqu’on apprend à se détendre, cela a forcément un impact sur le plan neurophysiologique.
Les effets exacts de la pleine conscience ne peuvent toutefois être entièrement démontrés que grâce à ce qu’on appelle des essais randomisés. Il s’agit alors de comparer différents groupes de participants tout en contrôlant d’autres facteurs qui pourraient aussi produire les modifications attendues. Dans l’idéal, il faut que les sujets testés ne sachent même pas à quel groupe expérimental ils appartiennent – ils sont alors testés « à l’aveugle », pour reprendre un terme du jargon spécialisé. Le neurobiologiste Fadel Zeidan, du Centre médical baptiste de Wake Forest, aux États-Unis, a mis au point, à dessein, une sorte de « pseudoméditation ». Les participants font des exercices sans savoir que cela a à voir avec de la méditation. Il faut évidemment qu’ils soient totalement novices en matière de méditation de pleine conscience. C’est une approche intéressante, selon Hölzel. La pseudoméditation correspond sur bien des points à une vraie méditation de pleine conscience, seuls les aspects attentionnels sont absents. On épargnera ainsi aux participants l’observation de leur propre respiration.
Selon les études de Zeidan, la pleine conscience atténue efficacement la douleur, en provoquant des modifications d’activité cérébrale spécialement en lien avec cet aspect. Pour le montrer, il a divisé 75 participants en quatre groupes, ceux du premier s’exerçant à la pleine conscience, ceux du deuxième à de la pseudoméditation, ceux du troisième recevant un placebo sous forme de prétendue « crème antidouleur » et ceux du quatrième se contentant d’écouter un enregistrement audio d’une lecture de livre. Puis toutes ces personnes étaient soumises à des stimuli douloureux.
Le groupe ayant pratiqué la pleine conscience a confié avoir ressenti moins de douleur que les trois autres, et le cerveau des participants de ce groupe traitait effectivement la douleur différemment. Les zones cérébrales qui exercent un contrôle cognitif sur la perception de la douleur étaient plus actives, notamment le cortex orbitofrontal, l’insula et le cortex cingulaire antérieur. Le thalamus, parfois appelé « porte d’entrée de la conscience », voyait au contraire son activité diminuer. Ce qui pourrait signifier que les stimuli douloureux n’accédaient pas intégralement aux zones cérébrales corticales supérieures. Et en conséquence, les participants ne semblaient pas les percevoir aussi puissamment.
Quoi qu’il en soit, selon Zeidan, de tels résultats ne sont pas si facilement transposables des personnes saines aux patients atteints de douleurs chroniques. De même, les observations réalisées par Carlson sur des patientes cancéreuses ne valent pas forcément pour tout le monde. L’hypothèse selon laquelle la pleine conscience modérerait de façon très générale les effets négatifs du stress reste pourtant intéressante.
Malheureusement, les études plus précises sont rares, déplore Carlson. En obtenir nécessiterait de mettre en place des essais randomisés incluant un plus grand nombre de personnes saines, dont il s’agirait de suivre, pendant des années, le risque de développer certaines maladies. Évidemment, c’est cher et c’est long. « On ne le ferait pas avec un cours de huit semaines », certifie en tout cas Britta Hölzel. La neuroscientifique, qui donne aussi des formations de MBSR, en est persuadée : « La pleine conscience est plus une attitude de vie qu’un entraînement. »
Bibliographie
- L. E. Carlson et al.,Mindfulness-based cancer recovery and supportive expressive therapy maintain telomere length relative to controls in distressed breast cancer survivors, Cancer, vol. 121, pp. 476-484, 2015.
- L. E. Carlson et al., Randomized-controlled trial of mindfulness-based cancer recovery versus supportive expressive groiup therapy among distressed breast cancer survivors (MINDSET) : ong-term follow-up results, Psycho-Oncology, vol. 25, pp. 750-759, 2016.
- C. A. Lengacher et al., Influence of mindfulness-based stress reduction (MBSR) on telomerase activity in women with breast cancer (BC), Biological Research for Nursing, vol. 16, pp. 438-447, 2014.
- F. Zeidan et al., Mindfulness meditation-based pain relief employs different neural mechanisms than placebo and sham mindfulness meditation-induced analgesia, Journal of Neuroscience, vol. 35, pp. 15 307-15 325, 2015.
Références
- Article paru dans la revue Cerveau & Psycho, N°104 – Novembre 2018. www.cerveauetpsycho.fr
- Auteur de l’article : Patricia Thivissen, journaliste scientifique.